L’éducation, pilier fondamental de toute société, se trouve à un carrefour crucial de son histoire. L’irruption de l’intelligence artificielle (IA) sur la scène éducative suscite en effet à la fois fascination et appréhension. Certains y voient une révolution salutaire, promettant une personnalisation de l’apprentissage et un accès démocratisé au savoir. D’autres, plus sceptiques, craignent un déclin des compétences fondamentales et une instrumentalisation de l’humain au service de la machine.
Dans cet article, nous explorerons les multiples facettes du futur de l’éducation à l’aune de l’IA, en nous appuyant sur les réflexions de Idriss Aberkane et de Sal Khan, deux figures éminentes du monde éducatif. Nous analyserons les enjeux de pouvoir inhérents à l’éducation, les défis de l’ergonomie et la nécessité de repenser les modèles pédagogiques pour cultiver une neuro sagesse face à la montée en puissance de l’IA.
1. L’Éducation : Un Instrument de Pouvoir et de Liberté
Idriss Aberkane souligne avec force que l’éducation, au-delà de sa mission émancipatrice, est intrinsèquement liée à la notion de pouvoir. Historiquement, les systèmes éducatifs ont souvent été façonnés par des impératifs politiques et économiques.
- L’exemple de la Chine, humiliée par la puissance industrielle de l’Empire britannique lors des guerres de l’Opium, illustre le lien étroit entre éducation, industrialisation et puissance nationale.
- Le Japon, conscient de cette réalité, s’est engagé dans une modernisation accélérée de son système éducatif pour éviter le même sort.
- L’école publique française, mise en place sous la Troisième République, portait en elle l’ambition de forger des citoyens soldats et de consolider l’unité nationale face aux risques de séparatisme.
L’IA, en tant que nouvelle « machine à vapeur », s’inscrit dans cette dynamique de pouvoir. Vladimir Poutine l’affirmait déjà en 2017 : « Celui ou celle qui dominera l’intelligence artificielle va dominer le monde« . La maîtrise de l’IA devient dès lors un enjeu géopolitique majeur.
2. L’IA et l’Évolution de l’Ergonomie Éducative
L’avènement de l’IA ouvre des perspectives inédites pour repenser l’ergonomie de l’éducation, c’est-à-dire son adaptation aux spécificités de l’apprenant. Idriss Aberkane utilise la métaphore du sabot militaire pour illustrer ce point.
- À l’instar des soldats de la Grande Armée contraints de porter des sabots sans distinction de pied droit ou gauche, les élèves sont souvent confrontés à un système éducatif rigide qui ne tient pas suffisamment compte de leurs besoins individuels.
- L’IA, grâce à sa capacité à traiter d’énormes quantités de données et à personnaliser les apprentissages, pourrait permettre de passer d’un modèle « taille unique » à un modèle sur-mesure.
- Sal Khan, fondateur de la Khan Academy, évoque Khanmigo, un outil d’IA développé par son organisation, capable de s’adapter au rythme de chaque élève et de lui fournir un accompagnement personnalisé.
L’IA pourrait ainsi devenir un véritable « Léonard de Vinci » pour chaque apprenant, offrant une attention individualisée et une correction sans jugement, éléments essentiels à la progression.
3. Repenser le « Quoi » de l’Éducation à l’Ère de l’IA
L’omniprésence de l’IA dans nos vies soulève des questions cruciales sur le contenu même de l’éducation. Si l’IA peut accomplir des tâches complexes, quelles compétences faut-il privilégier chez les apprenants de demain ?
- Ken Robinson, cité par Idriss Aberkane, affirmait que le système éducatif actuel tend à brider la créativité et à standardiser les esprits.
- Le « test du trombone », qui consiste à trouver le plus grand nombre d’usages possibles pour un trombone, montre que les individus les plus diplômés sont souvent les moins performants dans les tâches créatives.
- Sal Khan insiste sur l’importance de cultiver des compétences fondamentales telles que la communication écrite et orale, la pensée critique, la résolution de problèmes et la créativité.
Plutôt que de se focaliser sur la mémorisation de faits et de données, l’éducation du futur devrait privilégier le développement de compétences humaines irremplaçables, comme la curiosité, l’adaptation, l’esprit critique et la collaboration.
4. La « méthode ingénieuse »: Un Atout Face à l’IA
Idriss Aberkane plaide pour une réhabilitation de la « méthode ingénieuse » dans l’éducation. Ce mode d’apprentissage, qui repose sur l’expérimentation, l’erreur et la correction, a permis des avancées considérables avant la formalisation de la méthode scientifique.
- Léonard de Vinci, Nicolas Tesla, Thomas Edison… nombre d’inventeurs et de créateurs ont excellé grâce à la méthode ingénieuse.
- L’IA elle-même apprend par essais et erreurs. Encourager les élèves à adopter cette démarche les préparerait à collaborer avec les IA et à innover dans un monde en constante évolution.
L’éducation du futur devrait encourager la prise de risque, la persévérance et l’apprentissage par l’expérience. Il ne s’agit pas de rejeter l’enseignement théorique, mais de trouver un équilibre entre savoir académique et savoir-faire pratique.
5. Cultiver la « Neuro Sagesse » : Un Défi pour l’Éducation de Demain
Face à l’essor de l’IA, Idriss Aberkane introduit le concept de « neuro sagesse », une philosophie qui place l’humain au centre de ses créations et qui refuse sa réduction à un simple rouage de la machine.
- Le « neuro fascisme », vision dystopique de l’avenir, réduirait l’humain à trois fonctions : jouir, produire et obéir. L’IA, dans ce contexte, servirait à amplifier ces fonctions au détriment de l’épanouissement personnel.
- La neuro sagesse, au contraire, affirme la supériorité de l’humain sur ses créations et promeut une éducation humaniste qui vise l’épanouissement de chaque individu.
- L’éducation du futur doit préparer les apprenants à maîtriser l’IA, sans se laisser dominer par elle. Il s’agit de développer une conscience critique des enjeux éthiques et de cultiver des valeurs humaines fondamentales.
Vers une Renaissance de l’Éducation ?
L’IA, loin de sonner le glas de l’éducation, ouvre la voie à une profonde renaissance. En repensant l’ergonomie, les contenus et les méthodes pédagogiques, l’éducation du futur peut permettre à chaque individu de s’épanouir et de contribuer à la construction d’un monde plus juste et plus humain.
L’enjeu est de taille : il s’agit de former des citoyens éclairés, capables de dialoguer avec l’IA, de la maîtriser et de la mettre au service du bien commun.
Idriss Aberkane et Sal Khan, à travers leurs réflexions, nous invitent à embrasser les opportunités offertes par l’IA tout en restant vigilants face aux risques qu’elle comporte. L’avenir de l’éducation dépendra de notre capacité à concilier progrès technologique et humanisme, pour faire advenir une ère de « neuro sagesse » où l’IA sera au service de l’épanouissement de tous.